RÉSEAU-INFOS-FACS UNE NUIT DE CASSE À LA FACULTÉ DE JUSSIEU FAIT FUIR LES DÉLÉGUÉS ÉTUDIANTS
SUR LE PARVIS dévasté de Jussieu, où brulent quelques feux, la lumière de
la librairie du campus troue la nuit, au pied de la tour 43. Ouverte à
coups de barres de fer peu après 22 heures, la librairie voit un défilé
incessant de "clients"? qui repartent, chargés de sacs de plastique sur
lesquels on peut lire "Les libraires du SAVOIR". A l'intérieur, les livres
jonchent le sol. Servez-vous! , hurle un grand énergumène, qui détruit le
matériel informatique derrière le comptoir. Dans un bruit de verre brisé,
au milieu de l'agitation frénétique des casseurs, des étudiants font leur
marché. Deux mondes se croisent sans se voir. En pull et duffle-coat, un
jeune homme demande à sa voisine, qui emplit un sac de fournitures de
papeterie, où se trouvent les traités de chimie. Dans la bouche d'une
étudiante en histoire de l'art, les mots se bousculent: C'est complètement
fou ce qu~on fait, on ne peut pas approuver ca et en même temps c'est trop
tard, autant en profiter. Je ne peux jamais m'acheter de 1ivres, la
sensation de pouvoir se servir sans payer c'est une excitation incroyable !
Le scénario du 21 novembre - une fin de manifestation émaillée d'incidents,
une coor&ation étudiante impuissante à se mettre en place- va se répéter
toute la nuit avec une violence décuplée. Peu avant 19 heures, jeudi, des
incidents se sont produits autour de la faculté de Jussieu. Des groupes de
jeunes ont renversé trois voitures. Une poignée de cocktails Molotov ont
ensuite été lancés sur les CRS, place Jussieu. Derrière la grille de la
faculté s'érige un semblant de barricade avec des tables, des chaises, des
cageots, des poubelles.
Si les CRS rentrent dans la fac, on leur pète la gueule. Un petit groupe
bien organisé, portant des sweat-shirts à capuche blanche, commence la mise
à sac du campus. Eclaté à coups de massue, le béton de la dalle du parvis
se transforme en projectiles qui viennent cabosser les carrosseries des
voitures garées en contrebas.
On a faim ~ , crient des voix aux abords de la cafétéria, installée à
l'entrée du domaine universitaire. On ne peut pas trouver les clés ? ,
demande un étudiant. Vers 19 h 45, les vitres de la cafétéria éclatent sous
les coups de barres de fer. Une cohue d'étudiants et de casseurs
s'engouffre à l'intérieur. Les distributeurs de boissons et de friandises
sont promptement détruits et dévalisés. Y'en aura pour tout le monde.
Des affamés passent derrière le comptoir du fast-food et assurent un
service de restauration improvisé.
Pendant ce temps, dans l'amphithéatre
44, la coordination nationale tente de se réunir. Les militants de l'UNEF
et de l'UNEF-ID sont là, mais aussi beaucoup de délégués de base, venus de
province, élus par les assemblées générales. A l'entrée de l'amphithéâtre,
le service d'ordre appelle les villes, une par une. On mange un sandwich,
on s'échauffe au sujet des 4milliards defrancs de réserve des présidents
d'université. Quelques-uns laissent percer leur inquiétude, imputant un peu
vite les désordres qui se produisent à quelques mètres de là aux seuls
anarchistes. Des membres de la CNT (Confédération nationale du travail),
vêtus de cuir noir, keffieh autour du cou, drapeau sous le bras, démentent.
AG REPORTEE
La tension monte autour du service d'ordre, agressé à plusieurs reprises
par des jeunes très excités. Fort organisés, ils reculent et reviennent à
la charge, régulièrement. Alors que la plupart des délégués de Paris et de
province sont enfin entrés, le service d'ordre finit par céder sous la
pression et les coups. C'est la débandade. Une partie de ce qui aurait pu
constituer la coordination se replie vers l'Institut du monde arabe.
L'assemblée générale est finalement reportée au lendemain matin, 8h 30, à
Censier. Dans l'amphithéâtre 45 se tient une AG sauvage, noyautée par
quelques jusqu'au-boutistes de Paris-VIII-Saint-Denis, en présence d'un
postier qui appelle à la grève générale et de quelques cheminots. Les
gradins et les tables sont couverts de nourriture et de boissons à peine
entarnées, venant des distributeurs saccagés. Monté sur une table,
quelqu'un agite un immense drapeau noir orné d'une étoile rouge. Un jeune
serre contre lui des sacs de la librairie, bousculé par l'un de ses
camarades: Laisse ~a, c'est de la daube, tu vas tefaire serrer avec à la
sor~te, c'est plein de CRS. Les sacs tombent à terre.
Ilfaut qu'il sorte des idées d'ici , hurle quelqu'un, que personne
n1écoute. On vote dans le désordre le plus total un appel de Saint-Denis
qui dit non awt négociateurs imposteurs . La gratuité des transports, la
réduction du temps de travail, l'arret du programme nucléaire, la grève
générale et illimitée, tout y passe, dans le chaos. Soudain la lumière est
éteinte, par on ne sait qui. Les votes , faute de se faire à main levée,
s'effectuent à l'audiomètre. L'obscurité décourage bientôt ces derniers
combattants.
Béatrice Gurrey
(Le Monde, 3 décembre 1995)
Note - Malgré quelques innexactitudes journalistiques, cet article semble
être un des plus proche de ce qui c'est effectivement passé, d'après des
camarades qui étaient à Jussieu.
RÉSEAU-INFOS-FACS MOI Y'EN A VOULOIR DES SOUS
Les besoins matériels de l'université de Nantes sont criants. Qui mettrait
cette parole en doute? (qui, nous? Nooon...). Mais de nos jours qui ne
cherche pas son petit milliard (ou son deuxième)? Pêcheurs, agriculteurs,
salariés de GEC-Alsthom, fonctionnaires, étudiants, lycéens, RMIstes,
turfistes, concierges, présentateurs et producteurs de télé, etc.
Ces revendications sont la marque de la fin de l'Etat providence qui
assurait une redistribution (inégale certes) des richesses. A ces exigences
légitimes la réponse est toujours la même: les caisses sont vides .
Pourtant, que ce soit en terme de biens de consommation ou d'argent
accumulé, la production de richesses n'a jamais été aussi grande à l'image
de l'importance démesurée de la spéculation financière mondiale (hein, de
coâ ?). Mais les yuppies sont touchés par la grâce car jamais Dieu ne les
taxe... Etudiant-es, lycéen-nes, nous n'avons pas le monopole de la misère.
Mais, bientôt, nous, petites chenilles scolarisées deviendrons
papillons-travailleurs ou cafard-chômeurs. Le cocon universitaire ne dure
qu'une saison. Et qui peut dire je suis libre tant que durent les saisons
? . Le dur apprentissage de la précarité nous attend.
Car la force de ce système est de laisser pour compte ce qui ne peut être
sujet à bénéfice. Qu'on soit étudiant en sciences humaines, sans travail ou
salarié-licencié, c'est notre inutilité économique qui gêne.
Si tu ne veux pas lier ton devenir à l'économie, l'économie s'occupe déjà
de ton avenir.
Le fonctionnement institutionnel nous installe dans un rapport où
l'individu est divisé en ses différences façades, fonctions ou rôles
(votant, cotisant, salarié, étudiant, syndiqué, contribuable, client,
etc.).
J'étudie donc je suis ?
Le savoir est un bloc déjà constitué, figé, froid comme un cadavre, que
l'étudiant doit (in)gérer sans approche personnelle et critique. Il
n'existe institutionnellement pratiquement aucune possibilité interne de
discussion sur son pourquoi, son comment (ouf! J'ai pas fait des études
pour rien!). Mais à qui sert le savoir ? A l'épanouissement des étudiants,
à la population (aucune formation n'a pour finalité l'aide aux exclus ou
aux pays du Sud), ou aux entreprises et à l'Etat ?
L'Université au service des entreprises est la marque de la rentabilité
qu'on veut lui allouer. C'est un véritable parti pris idéologique qui
infiltre cette institution qui devrait être celle de la liberté d'esprit
Aucun rôle ne la distingue du sens commun et de l'opinion publique. Comment
l'enseignement peut-il évoluer sans recul critique ? A l'université,
l'étudiant-e n'apprend rien d'autre qu'à intégrer sa place de gestionnaire,
de consommateur-trice, la seule qui est allouée aux femmes et aux hommes de
notre société. Les profs sont des commerçants à la petite semaine, avec
leur petite échoppe, où la/le petit-e étudiant-e fait ses emplettes sans
s'interroger sur la qualité du produit et la façon dont il est fabriqué. Ni
à quoi il sert.
Nos intérêts sont liés à d'autres.
On ne saurait demander
des moyens pour l'université sans s'interroger sur sa fonction dans la société.
Cette lutte n'est qu'un commencement et appelle d'autres dépassements.
- Scalp de Nantes
lundi 20 novembre
RÉSEAU-INFOS-FACS APPEL AUX ETUDIANTS, CHOMEURS, TRAVAILLEURS
L'AG de chômeurs, étudiants, précaires et autres salariés, réunie le 30
novembre à l'université de Jussieu, lance un appel à tous ceux qui
aujourd'hui se sont mobilisés dans le mouvement social.Les premiers
objectifs des catégories entrées en lutte sont d'ores et déjà dépassés par
le mouvement lui-même, c'est pourquoi nous appelons chacun de vous à nous
rejoindre sur les mots d'ordre qui nous réunissent tous:
1) Levée immédiate du plan Vigie pirate qui sous prétexte d'anti terrorisme
ne vise que le contrôle social et le flicage; le retrait de toutes les
mesures discriminatoires envers les étrangers.(Lois Pasqua, circulaire
Marchand).
2) Amnistie pour tous les interpellés des différentes manifestations.
3) Création d'un revenu garanti décent pour tous, transports gratuits pour tous.
Ces revendications ne pourront être obtenues que par une grève générale,
c'est pourquoi nous appelons à renforcer et à développer celle qui déjà
émerge du mouvement actuel.
GREVE GENERALE!
(Adopté dans la soirée du 30/11 dans Jussieu occupée par une assemblée
auto-constituée...)